Prémisse d'un dialogue socratique avec moi-même, ou un pourquoi théâtral

Moi contre moi-même, deux adversaires de même niveau.

Bonjour, lecteur. Oui, c'est à toi que je m'addresse. Je pose ce billet ici pour ne plus à avoir à garder ce dialogue en tête.

On dit souvent que le plus grand ennemi de soi, c'est soi-même. C'est pour cela que j'ai commencé à écrire sur ce blog. Écrire, ce n'est pas uniquement écrire pour autrui.

Dans ma quête de la philosophie, tout comme dans ma quête pour ce que je devais penser de la vie ou chercher mes repères, rien n'est facile. Je suis assailli de doutes, je monte des contre-arguments en permanence contre mes propres positions, allant jusqu'à débusquer les pires bizarreries irréelles, antirationnelles, irraisonables pour voir jusqu'où ma vision est claire. Et le débat est difficile, car mon adversaire n'est autre que moi-même.

Et on ne peut ni se mentir à soi, ni se cacher, ni se dévoiler. C'est un adversaire redoutable, qui me fait douter de toutes mes certitudes, quitte à me pousser dans une étrange folie. Il ne s'arrête jamais, caché dans un coin de mon esprit, prêt à me lancer des magnifiques "hah, tu penses ça pour te rassurer!" ou des "heh, quelqu'un de rationnel ne penserait pas comme ça", voire des "ce serait bien si c'était vrai... mais ça ne l'est pas, tu te mens à toi-même". L'avantage d'un tel adversaire, c'est qu'il reste debout, infatiguable, toujours affûté, prêt à sauter à la gorge du moindre flou méthodologique ou du premier argument foireux.

C'est ce moi empoisonné qui m'a ramené à une étude correcte de la religion, de la philosophie, de la croyance, de la science, de la métaphysique. Sans lui, je ne serais pas celui que je suis. Je serais au pire un croyant tiède, annônant du Kant à longueur de journée, oscillant entre peur et euphorie, qui sait bien que ses croyances ne sont qu'écran de fumée palliatif de vraies questions qui l'effraient ; ou, au mieux, un iétiste-athée agnostique, secouant la tête en disant on ne peut rien savoir", ne prenant pas position par peur que le pire ne se produise, comme soumis à un pathos superstitieux croyant que la réalité n'écoute ses émotions égoïstes.

Ce "moi" incisif est présent depuis que je suis petit. J'ai connu très tôt la présence de la mort au sein de mon entourage, la peur de l'inconnu, la crainte de l'infini, l'angoisse du néant. Bien loin d'une insouciance enfantine, mes premières peurs n'étaient que "le Noir", forme diffuse et informe opaque, semblable à un spectre de vide, de néant, qui peuplait les zones dépourvues de lumière, et les concepts confus. Je ne craignais pas les monstres, parce qu'au moins, je me disais que c'était une présence. Non, j'avais peur "du Noir", cet étouffeur d'espoir qui boulottait tout ce qui bouge, nourri par l'absence, l'infini, l'éternel, le transcendant, le néant.

J'ai un immense respect pour la démarche sceptique. Pas pour les sceptiques, ni les athées, car il n'y a point de sceptique honnête. Le scepticisme n'est qu'un jeu que certains jouent afin de pousser un raisonnement et éclaircir les zones d'ombres du raisonnement, les faux-sens et les concepts confus. Mais rapidement, une fois certaines certitudes (douteuses !) posées comme vraisemblables, le sceptique se mute en franc pragmatiste voire en utilitariste (pour les plus honnêtes), cachant des présupposés étranges.

Toutefois, il me faut reformuler cette phrase avec un peu plus de retenue : j'ai un immense respect pour la démarche sceptique, jusqu'à un certain point. Ce n'est que lorsque mon esprit se fut frotté à la démarche sceptique, et aux points de vue les plus opposés (merci Dawkins, merci Rosenberg, merci les autres), que "le Noir" de l'angoisse et la fragilité antimétaphysique a fini par commencé à céder.

L'homme a peur de l'inconnu. Des phrases creuses. Des concepts flous. Des paradoxes irrésolus. Et de lire des auteurs opposés à mes croyances donnait enfin du grain à moudre à cette partie trop curieuse de moi. Fini le confus, l'avantage d'un opposant farouche et direct, c'est qu'il force à se dévoiler.

Tsk, tsk, tsk, drôle de façon de se présenter en deux voix dissonantes. On dirait que tu n'as appris que de ton adversaire que l'envie de confirmer ta vérité, mon cher.

Pas le moins du monde. J'ai pu enfin abandonner certaines prétentions philosophiques que je considérais depuis ma naissance comme logiques et forcément vraies. Rien ne fait plus de bien que de quitter sa vérité pour progresser vers la vérité.

Heh. Ainsi, le dialogue que tu me proposes est un dialogue entre moi et moi-même. Pourquoi donc ?

Parce que rien ni personne n'est plus aiguisé que le couteau que l'on peut se planter soi-même. J'adore discuter avec autrui, pour deux raisons. D'une, ses réflexions alimentent les miennes, et les nourrissent ; et de deux, je trouve souvent des positions bien moins irréalisables et dangereuses que les miennes au niveau opposition.

Hmpf. Insinues-tu que tu sois plus dangereux qu'autrui ? Quid d'un athée, d'un matérialiste, d'un nihiliste, d'un sceptique, toi qui les détestes autant ?

Je suis ravi de converser avec eux, car le dialogue reste humain. Autrui, peu importe ses convictions, est toujours atteint de limites et d'humanité dont tu ne fais pas preuve. Ce que je déteste, c'est la caricature insupportable avec laquelle je me vois obligé de faire pour tester une idée. Tu n'es que la partie raticionnante de mon esprit, qui cherche toujours une vérité ou une faille sur laquelle mordre. Tu n'es que la partie mécanique de mon raisonnement, et il faut te nourrir sans cesse pour que tu te taises enfin.

Tiens donc. Tu serais donc en train de me machiniser, toi qui aime autant les machines ? Je croyais que ton activité principale consistait à en faire toujours plus dans les systèmes, l'information et l'automatique.

N'oublions pas le rapport humain, mon cher. Tout autant que le discours que tu prononces fait sens, ses airs captieux n'en disent pas moins. Comme mentionnait Gilson, "Les hommes sont très désireux de trouver la vérité, mais très réticents à l'accepter.".

De mieux en mieux. Je préfère quand tu lis Sartre, Nietzsche, ou Camus. Là est la véritable essence de ton esprit. Te rendre compte que tu n'es qu'un guignol qui tient un blog internet dans le but de te rassurer sur des 'CroYaNceS' qui n'ont de rationnel que le nom.

Pfeuh. Jusqu'à présent, j'ai bien veillé à ce que tu ne puisses rien dire sur quelconque phrase que j'écris. Et je ne t'entends pas grogner à la lecture de mes billets. Comme quoi... enfin. Je pense que le lecteur a assez attendu. Il est temps de lancer la pique première de ces dialogues socratiques à deux vois, hein ?

Comme tu voudras...

Parfait. D'une certaine manière, tu n'as pas le choix. Je te laisse ouvrir avec un sujet, selon ton désir. Histoire d'approfondir ma connaissance... et la tienne.

"Connaissance", hein ? Quoi de mieux qu'un sujet sur le scepticisme, dans ce cas ? Et si je te sortais que ta quête de la vérité, c'est du flan ? Genre, Dieu est pas connaissable par la Raison, et le monde est au mieux voilé, au pire inconnu... Ouais, du bon scepticisme radical. Tu veux une tisane et un caramel mou avant d'aller te coucher ?

J'ai l'impression, que le flan, c'est toi qui me le sers. Enfin, que c'est moi qui me le sers, je m'entends. Soit, le sujet est ardu, mais approchable. Je prépare mes arguments, à tantôt, très cher.

J'y compte bien.

Ça va tirer à balles rélles.